PONT-AVEN (ÉCOLE DE)

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PONT-AVEN ÉCOLE DE

En mai 1886, à Paris, eut lieu la huitième et dernière exposition des impressionnistes: douze années s’étaient écoulées depuis leur première manifestation chez Nadar. Au sein du groupe, des divisions s’étaient opérées. Les uns, comme Monet, demeuraient attachés à une analyse fidèle de la nature; d’autres, à la suite de Manet (dont la disparition en 1883 avait été durement ressentie) et de Cézanne, voulaient donner à la peinture une vie plus autonome. À ce dernier surtout allait l’admiration de Gauguin, qui avait participé lui-même à certaines de ces expositions impressionnistes, mais dont le tempérament s’accommodait de plus en plus mal de la seule observation des irisations et des reflets. Il sentait en lui le besoin d’une interprétation plus libre de la nature, d’un art dans lequel la sensation de l’artiste fût plus raisonnée et plus idéalisée à la fois. Il lui fallait revenir à une facture plus simple, plus directe, redonner son rôle à l’imagination, la «reine des facultés» selon Baudelaire, qu’il lisait avidement. Enfin s’ajoutait chez lui au goût du rêve et du fabuleux le désir de retourner aux sources, à la pureté de la terre primitive: celle d’avant l’homme.

Rien d’étonnant que, dans son envie de départ, Gauguin ait choisi la Bretagne dont le charme archaïque venait d’être célébré par Renan. Il y avait à Pont-Aven une auberge aux prix modestes, connue des artistes. C’est là qu’il fit un premier séjour de juin à novembre 1886. Cette terre s’accordait à son sentiment et il y reconnut son but: «Quand mes sabots retombent sur ce sol de granit, j’entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture.» La Danse des quatre Bretonnes (musées de Bavière, Munich) et La Nature morte au profil de Laval témoignent déjà de son orientation nouvelle; mais c’est le second séjour, après le voyage à la Martinique en 1887, «loin de tous les hommes», qui allait être décisif. Gauguin retourne à Pont-Aven en février 1888. Autour de lui, séduits par son ascendant, se groupent notamment Charles Laval (qui l’avait accompagné à la Martinique), Henri de Chamaillard, Maxime Maufra, Henry Moret, Émile Jourdan, Cuno Amiet. En août arrive un jeune peintre de vingt ans, Émile Bernard, qu’il avait déjà rencontré à Pont-Aven deux années auparavant, mais sans suite.

Très doué, intelligent et cultivé, lié à Signac, à Seurat et à Van Gogh, Émile Bernard avait mis au point avec son ami Louis Anquetin une technique nouvelle de larges teintes plates cernées d’un trait sombre, inspirée à la fois par l’estampe japonaise et par le métier du vitrail et des émaux; le poète symboliste Édouard Dujardin avait justement parlé à ce sujet de «cloisonnisme». Il y avait là une volonté de simplification qui rejoignait tout à fait les préoccupations de Gauguin. Tous deux échangent leurs idées, confrontent leurs travaux: «L’un était pour l’autre élève et maître», pourra écrire le peintre Jan Verkade. Bernard peint ses Bretonnes dans la prairie , et Gauguin immédiatement après sa Vision après le sermon ou La Lutte de Jacob avec l’Ange (National Gallery, Édimbourg) dont le rouge central brûle comme un feu: le symbolisme pictural est né.

Paul Sérusier, élève de l’Académie Jullian, rencontre à son tour Gauguin à Pont-Aven; subjugué, Sérusier, dès son retour à Paris, annonce à ses camarades (parmi eux, Maurice Denis, Vuillard, Bonnard) ce qui est devenu pour lui le nouvel évangile de la peinture: exalter la couleur pure, simplifier la forme dans un trait qui en accentue le caractère, substituer à la représentation de la nature l’interprétation d’une idée, remplacer l’image par le symbole. Groupés autour de lui, ces peintres deviendront les nabis, ou prophètes, de ce nouvel évangile. En juin 1889, ils peuvent voir au café Volpini, dans l’enceinte de l’Exposition universelle, les peintures d’Émile Bernard, de Gaugin, d’Anquetin, de Schuffenecker, réunis avec quelques autres sous le nom de groupe impressionniste et synthétiste. Révélation décisive pour eux: l’artiste sait désormais qu’il peut se détacher du réel pour créer un être en soi, le tableau, doué d’une vie propre. Cette manifestation prend pour eux un caractère exemplaire. Gauguin, qui s’en est beaucoup occupé, retourne à Pont-Aven et, pour fuir les touristes, s’installe ensuite au Pouldu, où il résidera d’octobre 1889 à novembre 1890, entouré de Meyer de Haan, Charles Filiger, Armand Séguin et des voisins fidèles de Pont-Aven. Année féconde pour lui-même et pour tous en peintures, lithographies, céramiques, sculptures, fresques. Mais les grands événements étaient passés: la rencontre d’Émile Bernard et celle de Paul Sérusier, l’Exposition du Café Volpini.

«Cette école de Pont-Aven qui, selon Maurice Denis, aura remué certes autant d’idées, influencé autant d’artistes que, naguère, l’école de Fontainebleau», c’est, en un sens étroit, l’école des peintres réunis autour de Gauguin dans cette bourgade puis au Pouldu, et qui, lui absent, ont continué de peindre dans cette facture dont il s’est peu à peu dégagé lui-même pour atteindre à l’expression même du mystère. C’est aussi la naissance du symbolisme en peinture, et tout le surréalisme y prendra grand intérêt (Breton, après Jarry, a admiré notamment les œuvres singulières de Filiger). C’est surtout pour les artistes le droit au lyrisme, à la liberté. Et Gauguin savait ce qu’il avait donné: «Vous savez depuis longtemps ce que j’ai voulu établir: le droit de tout oser. Ceux qui, aujourd’hui, profitent de cette liberté me doivent quelque chose.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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